Monday, July 31, 2006

Liban, j'y étais

Liban, j'y étais
Par Djilali Boucif

Fidèle à ses principes humanitaires et ses traditions de solidarité et d'amitié avec les peuples de cette région, l'Algérie répondra avant l'appel de détresse lancé par M. Siniora. Un envoi d'urgence de 60 tonnes de produits alimentaires, 1 tonne de médicaments, 300 tentes, 2.000 couvertures, 5 groupes électrogènes, encadré par une équipe médicale composée de spécialistes en médecine de la catastrophe, chirurgiens, orthopédistes et réanimateurs et une équipe de médias a été décidé. Avaient pris part à l'organisation logistique et technique le CRA, l'UMA et le ministère de la Solidarité et de l'Emploi.

La mission a débuté le 20 juillet et devait prendre fin le 26 du mois. Les objectifs de départ sont l'acheminement de l'aide alimentaire jusqu'au Liban et la couverture médicale à la demande, en fonction des nécessités et des besoins.

Dès notre arrivée à l'aéroport de Damas, nous devions superviser sur le tarmac le déchargement des avions et l'organisation du convoi qui devait se diriger vers le nord du Liban. Parallèlement à cela, il fallait prendre en charge psychologiquement et médicalement les ressortissants algériens évacués de Beyrouth par les autorités algériennes. Ces dernières ont joué un rôle fondamental et exemplaire par une disponibilité, une assistance permanente et une prise en charge logistique totale (transport, alimentation et hébergement aux ambassades de Beyrouth et surtout de Syrie). Le nombre de ressortissants algériens revenus au pays, jusqu'au 26 juillet, était de 300.

Notre seconde tâche était de faire une état des lieux aussi bien en Syrie qu'au Liban. Pour ce qui est du premier pays, le Croissant-Rouge syrien assure en fonction des moyens disponibles et de ses capacités une assistance au niveau de la frontière, à Djedié, qui était notre point d'attache et le point de passage de la majorité des personnes qui venaient du Liban.

A la frontière du côté de Ohms, il n'y avait pas une grande activité, la zone nord étant plus ou moins épargnée. Ce que nous avons constaté sur place, c'est que l'afflux vers la Syrie s'est tellement amplifié que la situation a été saturée. Beaucoup de personnes qui fuyaient ont été installées dans des écoles, chez des familles où dans des centres de transit. La prise en charge de ces réfugiés se fait grâce à des donateurs, des institutions où des sociétés. Vu la charge de travail, la coordination est très difficile. Elément moteur dans ce genre d'opération, l'information circule très mal. Les circuits techniques et administratifs sont déconnectés.

Voyant que le Croissant-Rouge syrien avec lequel nous devions coordonner notre action était dépassé, nous décidons de voir le CICR, qui s'étonne de notre présence et de notre visite à son siège. L'accueil est froid. Le contact sans résultat. Seule recommandation: «N'allez pas au Liban !».

Nous leur exposons le fait que nous avons passé toute une journée au Sud-Liban et tout le travail que nous avons fait pour qu'ils puissent en tirer des décisions et des actions. Malheureusement, aucun des procédés humanitaires de cette institution n'est mis en place. Le «SAFER-Access» technique et procédé pour l'acheminement des dons est gelé. «On attend la notification». De qui ? Pourquoi ? La population est dans le besoin ! Le seul point positif, c'est d'avoir évalué certains besoins avec le président du Croissant-Rouge syrien qui, très difficilement, nous a reçus, et dont la coordination ou l'assistance sur le terrain ne s'est pas fait sentir. Notre ambassadeur s'était occupé personnellement du moindre détail pour que nous menions notre mission à bien.

Ces rescapés de l'horreur du siècle venaient dans leur quasi-totalité des régions sud (Beyrouth, Saïda, Sour...). La plupart avaient laissé leurs attaches familiales et professionnelles, leurs biens. Leur amour pour ce pays se lisait dans leurs yeux rouges fatigués par les nuits blanches et larmoyants au moindre souvenir. Des voix fines, affaiblies par les multiples

cris de détresse, de souffrance et d'appel sont à peine audibles. Faibles, physiquement par manque de nourriture et d'eau, mais avec une grande dignité, de la fierté. Il faut souligner que ceux dont le départ a été organisé par notre ambassade sont essentiellement des femmes, pour la plupart jeunes, et des enfants. Les hommes ne voulant ni quitter le pays ni vider le Liban. Des discussions avec les rescapés, une profonde angoisse se dégage.

Des scènes de destruction, des bruits incessants d'avions, des obus qui éventrent des bâtiments, les sirènes d'alerte, la descente aux abris et l'attente, l'attente de sortir. C'est ce que racontent nos compatriotes vivant au Liban. Lors des rencontres, certaines racontent ce qu'elles ont vécu tranquillement. D'autres ont le récit entrecoupé par des sanglots, alors que d'autres gardent le silence. Ce travail durera plus de 3 heures. Nos ressortissants, «vidés» par ces scènes, expriment plutôt une sensation de sécurité et de bien-être à l'idée de prendre l'avion vers l'Algérie et des retrouvailles familiales.

Mais certains n'ont aucune attache familiale en Algérie, à l'exemple de ces deux femmes. Pour ces cas, ce sera l'Etat qui devra s'en charger par le biais du ministère de la Solidarité.

Il faut souligner que la mobilisation diplomatique et l'assistance apportée à nos ressortissants se sont faites de manière spontanée mais avec une très grande efficacité. Sur le terrain, nous avons eu le privilège de rencontrer des professionnels de l'évacuation dans toutes les situations et nous avons pris connaissance de leurs méthodes, des analyses, des contacts et des personnes ciblées.

Notre passage au Liban a bouleversé aussi bien les Syriens figés à leur frontière, avec des camions chargés de dons sous toutes les formes dans des camions garés dans de grands espaces exposés à la chaleur, que les autorités, ou encore les personnes qui devaient quitter le Liban pour la Syrie.

On avance vers la frontière libanaise. Nous recevons un accueil très chaleureux, amical, convivial. Les formalités administratives d'usage sont faites dans les bureaux du chargé de la sécurité à la frontière. Ceux que nous rencontrons sont stupéfaits de nous voir faire le trajet inverse, car le mouvement se fait plutôt du Liban vers la Syrie et non l'inverse.

Une société gérée par une Algérienne résidant au Liban, qui s'occupe de transport routier et maritime, a mis gracieusement à notre disposition un véhicule et des manutentionnaires et pris le risque de faire parvenir les dons sans l'accord sécuritaire, risque omniprésent
car des camions transportant des dons avaient été bombardés auparavant.

A 5 km, on retrouve des routes éventrées, des bâtiments touchés. On tombe sur deux bus en feu. Nous pénétrons dans Shtia, une ville fantôme. Personne dans la rue. Une usine vient d'être bombardée. Nous continuons vers Zehla où la vie n'est plus calme. Nous sommes à 30 km de Beyrouth. Nous sommes reçus par la Croix-Rouge libanaise et les autorités locales. Nous visitons l'hôpital où il y a 2 blessés, le centre de transfusion sanguine, où la majeure partie des equipements fait défaut. Les gens nous ont remerciés pour l'apport moral. Nous avons passé toute la journée à leurs côtés. Il faut signaler que dès notre départ, la zone a été bombardée et nous avons pu voir des colonnes de fumée monter.

Quel fut notre sentiment de découvrir la plaine de la Bekaa, terre fertile où l'on sentait encore le passage des paysans, les arbres avec leur fruits, des périmètres irrigués. Malheureusement, les indices de la guerre sont là. Des villages vides, des magasins fermés, des maisons silencieuses. Tout est fermé (portes, volets...). Une sensation de ville abandonnée. A la sortie, un immeuble atteint probablement par les bombardements. On rencontre un militaire en tenue mais sans arme qui nous demande de nous éloigner. On était sur un pont, cible privilégiée pour les bombardements. Un peu plus loin, la route est barrée. Un gros cratère interdit le passage. Nous prenons une voie de contournement. Encore une scène d'horreur: deux bus en feu. Le peu de citoyens sur place tente d'évaluer les dégâts.

Nous nous obstinons à continuer vers le Sud, zone des bombardements. Nous traversons Stourha, ville fantôme. Aucune description ne peut être faite. Nous sommes stupéfaits par la tension et ce silence macabre.

Nous passons à côté d'une usine de lait qui vient d'être touchée. Une dizaine de personnes, venues d'on ne sait où, tentent d'intervenir. Notre prochaine localité est Zallé, splendide ville où l'on rencontre la Croix-Rouge libanaise, dont les membres sont choqués et heureux de recevoir notre équipe. Nous sommes les seuls à venir les voir. Cela a eu un effet de soulagement et de soutien. Nous visitons l'hôpital, le centre de transfusion sanguine, où un don est organisé par la majorité des membres de la mission. Les produits sont réceptionnés à Beyrouth par la haute instance qui nous adresse, le 24 juillet, une lettre de remerciements pour l'Algérie pour l'envoi des aides, avant ceux du CICR et des autres pays pour des population en détresse. Retour le soir vers la frontière syrienne, laissant derrière nous un nouveau raid et des colonnes de fumée.

Il faut noter que notre journée a été marquée par des moments forts d'émotion car, à notre arrivée, un appel est lancé par une vieille femme fixée à sa fenêtre. «Aidez-nous, sortez-nous de cet enfer !».

Des problèmes de santé majeurs se posent à la frontière surtout. Il s'agit des malades chroniques, tels les diabétiques et les insuffisants rénaux qui ne peuvent pas bénéficier de prise en charge, notamment des séances de dialyse. A côté, il faut remarquer le nombre important de séquelles des bombardements, à savoir excitation, nervosité, angoisse. Sans parler des déplacements. Egalement les brûlures suite aux explosions de bombes, les blessures par des bouts de métal, plaies par éclats d'obus, chutes de pierres... Mais le plus grave, ce sont les lésions suite aux émanations de gaz et de produits par les bombes qui donnent des troubles cérébraux, des troubles respiratoires, surtout chez les enfants qui sont les plus exposés, les plus vulnérables.

Devant ce premier bilan, des besoins importants, une léthargie et des défaillances dans l'acheminement, nous avons décidé de mettre tous nos efforts en vue des faciliter l'accès des produits vers le Liban. L'intervention pour l'aide et le soutien doit se faire sur les zones cibles,

les écoles où sont logées les populations déplacées, la frontière syro-libanaise et la population libanaise à l'intérieur du Liban, les plus touchées.

Les besoins sont connus: des produits alimentaires, l'eau, des vêtements, des véhicules et des motos car la distribution ne peut se faire que sur des deux-roues en raison des risques de tir et des espaces réduits pour la circulation, notamment au milieu des décombres. La population ne se hasarde pas à l'extérieur; donc il faut aller vers elle avec de petits colis. Les hôpitaux ont surtout besoin de médicaments et de consommables. Donc, toutes les pharmacies et les laboratoires doivent penser à faire des dons.

L'équipe algérienne connaissant les lieux, ayant les contacts nécessaires, s'implique directement avec des équipes appropriées et un personnel motivé et conscient de sa mission, au moment où le peuple libanais demeure debout dans son ensemble avec son courage et sa dignité exemplaires.

(source : le quotidien d'oran)

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